«Shakespeare est le nom d’un homme dont on sait peu de choses avec certitude, qui n’a laissé qu’une œuvre poétique et dramatique, préservée en grande partie grâce à deux acteurs qui ont pris le soin d’éditer ses pièces, sept ans après sa mort en avril 1616. Shakespeare est le nom de cet âge d’or élisabéthain qui, bien sûr, rassemble d’autres noms, mais qu’il couronne de son aura mythique. Shakespeare dit à la fois la beauté et l’horreur de ce monde changeant et contradictoire, sa folie, sa violence, son illusion, sa drôlerie, sa merveille. Shakespeare est le nom qui, du théâtre, dit aussitôt les pouvoirs, le prestige, l’illusion, les métaphores et les métamorphoses. À la fois la richesse, le luxe, la pléthore et la simplicité de l’acte d’imaginer. Shakespeare est le nom du désir de tout acteur. Le mien, en tout cas. Le nom de spectacles rêvés. Le nom des textes – Comédies, Tragédies, Histoires –, des rôles et de quelques spectacles mémorables qui, me faisant entrevoir quelque chose comme un absolu du théâtre, ont donné forme et contenu à ce désir. J’ai préféré, devant la matière infinie et changeante, saisir des moments, des scènes, des phrases, des détails, tirés eux-mêmes des textes ou des mises en scène de ces textes, espérant que chacun contienne un tant soit peu du tout, reflète un aspect significatif, tels une strophe des Sonnets, une page d’Ovide, la voix de John Gielgud disant les vers de Richard II, ou l’image d'Orson Welles-Othello rejoignant Desdémone dans le dédale des couloirs du palais, pour leur dernière nuit, ou le noir obsédant des décors de son Macbeth. C’est dans le reflet des pièces, de leurs mises en scène, que j’aimerais capter le vivant, le changeant, la beauté libre et variée de ce théâtre, de la poésie surgie de ce grouillement, de ce bouillonnement vital. J’en viendrai aux acteurs, aux actrices, aux metteurs et metteuses en scène, et à quelques spectacles qui, dans ma mémoire, ont donné forme et vie à cette œuvre. Plus de quatre siècles nous séparent de son émergence, et pourtant nous y puisons toujours les représentations et métaphores les plus saillantes de notre modernité.» Denis Podalydès.
|